Worried Lebanese

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Peut-on condamner la violence au Liban?

Posted by worriedlebanese on 25/06/2013

La cohérence veut que l’on ne puisse condamner Assir d’avoir pris les armes pour se tailler un territoire politique, comme l’avait fait dès 1958 Pierre Gemayel, Kamal Joumblatt, Rachid Karamé ou Saeb Salam. Cela leur avait assuré une belle destinée politique… et une dynastie politique.
Cette même cohérence veut que l’on ne puisse condamner Assir d’avoir attaqué l’armée, lorsque l’on sait que Nabih Berri, Samir Geagea et Walid Joumblatt l’avaient fait en leur temps et participent toujours au pouvoir. Les raisons du Sheikh salafiste de Saïda sont-elles si différentes des leurs ?
Et pourtant, nous nous devons de le condamner et de condamner tous ceux qui à travers la violence se sont taillés un bout de notre République. Un crime ne peut couvrir un autre.

Mais est-ce que cela justifie la violence qui se déploie contre les salafistes? Qu’est-ce que cela en dit de notre société? Depuis trois jours, ces deux questions me reviennent et la réponse me semble claire, il est temps d’entreprendre la débaathisation de nos institutions et de notre société. Mais pour le faire, nous devons commencer par admettre l’empreinte qu’à laissé sur nous près de 30 ans d’éducation et de gestion baathiste de nos affaires.

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Les collèges électoraux confessionnels… au-delà du تفو (tfou) et du نيعئ (nya32)

Posted by worriedlebanese on 21/02/2013

Et si pour un petit moment on oubliait toutes les considérations normatives. Si pour un bref instant on laissait de côté les “on doit” et les “ça devrait” pour réfléchir à partir de “ce qui est”, de la réalité politique du Liban actuel. C’est seulement à partir de ce moment que l’on pourra mesurer les effets que la réforme électorale pourrait avoir. Observons notre paysage politique dans toutes ses composantes: les partis politiques, les citoyens/électeurs, le discours politique, le fonctionnement des institutions politiques… Que trouvons nous alors?

  • Des partis à étiquette communautaire qui fonctionnent comme structure clientéliste. Vous avez dit Tashnag pour les Arméniens? Parti Socialiste Progressiste pour les Druzes? Amal et Hezbollah pour les Chiites? Mustaqbal pour les Sunnites? Courant Patriotique Libre, Forces Libanaises, Kataeb, Marada, Parti National Libéral, Bloc National pour divers chrétiens? Ces partis dominent notre chambre des députés et le paysage politique libanais.
  • Un discours politique hyper-confessionnel. La question de la représentation/représentativité confessionnelle est un thème récurrent. D’abord l’apanage des partis chrétiens (exclu du jeu politique par l’occupant Syriens et ses alliés ou réduit à la portion congrue par leurs alliés de l’Alliance quadripartite), elle est aujourd’hui partagée par les partis et mouvances sunnites (Moustaqbal, “indépendants” et mouvances islamistes). Du côté Druze et Chiite, l’exercice monopolistique du pouvoir par des formations clientélistes/confessionnelles rend inutile tout discours sur la représentation/représentativité. Mais la défense des “intérêts communautaires” reste un enjeu principal et un thème récurrent.
  • Des citoyens obsédés par des considérations propres à leur groupe confessionnel. Les discussions politiques s’articulent surtout autour de la peur de l’Autre, et des dynamiques ou chamailleries intra-communautaire… Les Chrétiens sont obsédés par la rivalité entre Geagea et Aoun et ils ne parlent que du danger Iranien ou Séoudien (mot de code pour Sunnite et Chiite). Les Druzes se mobilisent derrière un seul homme pour exorciser leur peur de minoritaires dans “leurs” régions. La guerre civile syrienne traverse les Chiites et les Sunnites… Partout on brandit des figures du passé et on réchauffe leurs discours (Kamal, Bachir, Rachid, Camille, Pierre, Suleiman, Mousa, Rafik et compagnie)…
  • Des institutions politiques traversées, articulées ou paralysées par des réseaux clientélistes à étiquette communautaire…

N’en déplaise aux anti-confessionalistes de base, nos institutions politiques ne sont pas responsables de cet état de fait. En réalité, tous les mécanismes légaux et politiques prévus par notre système politique ont été neutralisés par les structures clientélistes à base confessionnelle et le régime politique contra-legem qu’elles ont établi avec l’aide des armes (qui leur ont permis de territorialiser leur pouvoir d’abord en 1958 puis à partir de 1975) et le “mandat” syrien (qui a permis à certains d’entre eux de traduire institutionnellement leurs “acquis” militaires)… sans compter sur l’imagination de notre classe politique qui dans son ensemble continue à s’inspirer de la pratique baasiste du pouvoir en privilégiant les méthodes informelles aux méthodes formelles du pouvoir (basé sur des institutions spécialisées et hiérarchisées): Le Président de la Chambre choisit le recteur de l’Université Libanaise, un Premier Ministre développe un nouvel appareil sécuritaire (qui lui obéit qu’il soit au pouvoir ou pas), le Président de la République préside une “Table du dialogue national”…
Face à ce paysage politique désolant, quel effet pourrait avoir cet article 2 approuvé par les commissions parlementaires? Pour essayer de le mesurer, il est important de l’aborder dans son intégralité: établissant à la fois des collèges électoraux confessionnels et un mode de scrutin proportionnel.

Si l’article 2 devenait loi…
Pour tenter d’imaginer les effets que l’article 2 pourrait avoir sur l’opération électorale, nous ne nous intéresserons qu’à deux moments: Celui du vote et celui qui suit le décompte des voix. Nous les aborderons de manière différente. Pour le vote, nous nous intéresserons qu’à quatre électeurs, que nous essayerons d’inscrire sociologiquement, même si c’est d’une manière sommaire. Pour la période qui suit le décompte, nous nous intéresserons au paysage politique que nous imaginerons suite à l’annonce des résultats.
Prenons d’abord quatre électeurs: Joseph du Metn, Nadine de Baabda, Khaled de Tripoli et Ghinwa de Nabatieh. Les quatre résident à Beyrouth mais votent normalement dans d’autres circonscriptions (en raison de la gestion patriarcale des registres électoraux), comme c’est le cas pour près de la moitié des électeurs libanais.

  • Joseph s’était abstenu de voter au Metn en 2009. Issu d’une famille chrétienne mixte, la circonscription dans lequel il votait (mais ne résidait pas) lui convenait bien. Sa mixité tant au niveau du collège électoral que de la distribution communautaire des sièges (4 maronites, 2 grec-orthodoxes, 1 grec-catholiques, 1 armenien-orthodoxe) reflétait en quelque sorte la propre mixité de sa famille. L’article 2 le frustre, l’enferme dans une case confessionnelle et limite son choix aux membres d’une seule communauté. Mais à malheur quelque chose est bon: il peut biffer le nom de l’ensemble des chefs de guerre et de leur descendants qui appartiennent à cette communauté. Il peut voter pour de nouvelles têtes, de nouveaux noms et des gens qui proposent un vrai programme, qu’ils soient originaires de Jezzine, de Beyrouth, de Zahlé ou du Akkar. Le choix n’est pas particulièrement alléchant, mais bon…
  • Nadine avait voté à Baabda en 2009. Bien que de parents chiites, ni elle ne se définit ni elle ne se reconnaît dans sa communauté. Elle abhorre le système politique libanais et vouent une haine féroce pour le 14 Mars et à leur base politique. Elle méprise son cousin qui est dans Amal mais n’a pas peur du Hezbollah qu’elle qualifie de mouvement de résistance (même si elle n’adhère pas à son programme religieux). L’article 2 la choque profondément. Elle refuse de voir son choix limité à sa propre communauté. La circonscription dans laquelle elle votait dans le passé lui convenait mieux. Elle était mixte aussi bien au niveau des électeurs que des élus: 3 maronites, 2 chiites, 1 druze. Elle a décidé de boycotter ces élections.
  • Khaled vote à Tripoli. De classe moyenne, il en veut aux notables de Tripoli qui ont échoué à dynamiser l’économie de sa ville. Très concerné par la situation sécuritaire dans sa région, il ne comprend pas comment le Premier ministre pourtant originaire de cette ville n’a su rien faire, et ne propose rien de concret pour répondre à ce problème. Et c’est sans parler de la crise syrienne qui secoue sa ville à partir de Jabal Mohsen. Son choix est fait. Il vote la conscience tranquille contre les notables, contre les pro-syriens, contre les salafistes… en composant sa propre liste groupant autant de personnes de la Jamaa Islamya que du Moustaqbal.
  • Ghinwa est inscrite à Nabatieh, région qu’elle ne visite qu’à l’occasion des mariages, des décès et des fêtes. Son coeur bat à gauche et il suffit de mentionner Amal et Hezbollah pour la mettre dans tout ses états. Après avoir décidé de boycotter ses élections, elle avance vers le bureau  le coeur serré mais résolue à voter pour quatre candidats qui militent au sein de divers partis vert et de gauche.

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Finalement, moins d’un million et demi de Libanais ont voté. Le taux de participation est parmi les plus faibles de l’histoire libanaise. Les personnalités qui ont appelé au boycotte se félicitent du résultat, mais des experts estiment que la mobilisation des électeurs était moindre en raison du caractère strictement intra-confessionnel des élections. Les dépenses électorales n’ont jamais été aussi faibles alors même que les collèges électoraux avaient une dimension nationale. Les conséquences les plus notables sont:

  • L’entrée au parlement de nouveaux partis. Pour la première fois de son histoire, le Liban voit se regrouper à l’intérieur du parlement des élus salafistes. Plusieurs autres partis islamistes prennent également place à la Chambre: les Ahbash et la Jamaa islamiya. Ils ne sont pas très nombreux mais leur voix se fait entendre à l’intérieur des instituions de l’État. Le Bloc National refait son entrée au parlement. Et pour la surprise générale, les Gardiens du Cèdre obtiennent deux sièges.
  • L’affaissement des “grands partis”: Le courant du Future et le PSP perdent un certaine nombre de sièges, de même que les Forces Libanaises et le Courant Patriotique Libre.
  • L’éclatement des blocs parlementaires. Les alliances entre forces appartenant aux mêmes blocs parlementaires se sont déliées durant les élections, surtout dans les blocs mixtes sur le plan communautaire mais dominés par une force politique communautaire. Ainsi Moustaqbal n’arrive qu’avec beaucoup de mal à former une coalition autour de lui, de même que le Parti Socialiste Progressiste. Leurs blocs rétrécissent et se fragilisent. Le Courant Patriotique Libre perd également des alliés, même s’il a tenté de concourir dans plusieurs collèges électoraux.
  • L’explosion du nombre d’indépendants au sein du parlement est impressionnant, surtout du côté chrétien et chiite. Ils mettent du temps pour se regrouper. La plus grande surprise est la multiplication des petites formations anti-confessionnelles en dépit de l’adoption de collèges confessionnels.
  • Les élus non-maronites s’affirment de manière plus forte au sein des formations chrétiennes. Et parmi les indépendants, ce sont ceux-là qui investissent le plus d’énergie à rapprocher les uns des autres pour former des petits blocs parlementaires, embryons de nouveaux partis politiques.
  • Des partis longtemps alliés se distancient un peu les uns des autres. La Mahdalé Hezbollah-Amal n’a pas aussi bien fonctionné que d’habitude. Des rivalités se sont faites sentir entre les deux formations. De même le Courant du Future n’arrive plus à contrôler la Jamaa Islamiya dont l’alliance le fragilise (approfondissant les divisions entre son aile conservatrice et son aile libérale). L’alliance Kataeb et Forces Libanaises est une chose du passée.

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Les collèges électoraux confessionnels entre le تفو (tfou) et le نيعئ (nya32)

Posted by worriedlebanese on 20/02/2013

Hier, les commissions parlementaires conjointes, réunies sous la présidence de Nabih Berri, ont approuvé l’article 2 de la proposition de loi électorale suggérée par le “Rassemblement Grec-orthodoxe ». Cet article introduit deux nouveautés dans le droit électoral libanais: Il change le mode de scrutin et redéfinit les collèges électoraux. Effectivement:
– un mode de scrutin proportionnel remplace le mode de scrutin majoritaire que le Liban a connu jusqu’à maintenant.
– des collèges électoraux confessionnels remplacent les collèges électoraux pseudo-territoriaux (en réalité patrilinéaire et patriarcaux: le citoyen n’étant pas intégré au collège électoral de son lieu de résidence mais à celui de ses aïeux ou de son mari) auxquels nous nous sommes habitués.
Notons que l’accueil de ses deux changements a été diamétralement opposé. Le premier est applaudi, surtout au sein du monde associatif et journalistique, où un consensus très large s’est constitué autour de ce mode de scrutin bénéficiant d’un préjugé favorable et promu comme “plus démocratique”. Le second quant à lui a suscité une vague d’indignation, surtout au niveau de la presse et de la blogosphère. 
Ce changement dans la définition des collèges électoraux est indéniablement difficile à digérer. Non seulement il contredit notre tradition électorale et constitutionnelle, mais il s’oppose de manière brutale à notre idéologie d’État qui est anti-confessionnelle. Il est donc à ce titre triplement dérangeant, mais aussi triplement révolutionnaire.

Une redéfinition allergène et indigeste801657_52511123783
Les objections à l’établissement de collèges électoraux confessionnels sont nombreuses. Certaines se basent sur des principes que cette redéfinition des collèges électoraux violerait d’autres s’appuient sur les effets attendus de cette réforme électorale. Les examiner de manière individuelle prendrait trop de temps, surtout qu’il faudrait expliciter les nombreuses suppositions sur lesquelles elles se fondent et rappeler les ambiguïtés de notre système juridique et politique.
Certaines objections sont si farfelues et l’analyse déformée (par des considérations tenant plus à la cohérence idéologique de l’auteur que de ce qu’il observe), que j’étais d’abord tenté de “défendre” ou de “justifier” les collèges électoraux sur base confessionnelle. Mais à vrai dire, j’avais été moi-même choqué par cette proposition lorsqu’elle a été présenté par le “Rassemblement Grec-orthodoxe ». Donc au lieu de répondre aux arguments que d’autres personnes ont formulé, j’ai décidé d’analyser les raisons pour lesquels cette proposition m’avait choqué.
1. L’objection normative: le collège électoral confessionnel comme enfermement: l’établissement de collèges électoraux sur une base confessionnelle restreint le choix de l’électeur aux membres de sa propre communauté-confessionnelle. En d’autres mots, elle le renvoi non seulement à son appartenance confessionnelle, mais elle limite son choix électoral aux membres de sa confession. Notons que notre système électoral renvoi déjà l’électeur à sa confession à travers la manière dont le Ministère de l’Intérieur organise les registres d’électeurs auprès des bureaux de votes. Effectivement, cette organisation des registres se fait généralement sur une base confessionnelle: les électeurs relevant de communautés différentes tendent à voter “à part” même s’ils appartiennent au même collège électoral. (Notons que ce choix particulier d’organisation des registres n’a aucun intérêt sur le plan juridique, mais il se révèle pratique sur le plan politique dans les conflits autour de la représentativité confessionnelle de certains hommes politiques).
Ce n’est donc pas tant le renvoi à l’appartenance communautaire qui dérange dans cette loi, mais le fait qu’elle limite le choix des électeurs aux membres de leurs communautés. Ceci est ressenti comme un « enfermement supplémentaire » du citoyen dans sa communauté-confessionnelle, cette fois-ci sur le plan électoral. Mais est-ce que le fait de voter pour des candidats appartenant à d’autres communautés le “libère” pour autant? Et à quel prix se fait cette impression de “libération” sur le plan de la représentation de certaines communautés et de la représentativité de certains députés? C’est en somme les deux questions auxquelles le “père” de cette loi, Wael Kheir, nous renvoi.
2. L’objection socio-culturelle: inadéquation de ce type de collège électoral à l’inscription socio-culturelle de certains votants:  Cette proposition se révèle particulièrement problématique que pour deux types d’individus: ceux qui ne s’inscrivent pas dans leur groupe d’appartenance communautaire (c’est le cas des personnes qui n’ont pas été socialisées dans un groupe communautaire spécifique ou ceux qui le rejettent), et ceux dont le groupe d’appartenance ne correspond pas à celui de leur confession (celui qui ont été socialisées dans un groupe communautaire mixte). C’est en examinant le deuxième type d’individus que l’on réalise le caractère paradoxal de cette proposition de loi. Alors même qu’elle a été élaborée et promue à l’intention des communautés chrétiennes, elle contredit de manière flagrante leur réalité socio-culturelle. Effectivement, le degré d’intégration (ou d’interpénétration) de la majorité des confessions chrétiennes tant sur le plan social, spatial, économique, culturel et politique est tel que leur division en collèges électoraux distincts est difficile à justifier. Mais est-ce qu’elle met en danger ce rapprochement, cette interprétation? Est-ce qu’elle brisera les familles mixtes ou décourageras les mariages mixtes? Est-ce qu’elle aboutira à l’éclatement des partis politiques dont les cadres et la base recouvrent sur plusieurs confessions chrétiennes (CPL, FL, Kataeb,PNL, BN) ou plusieurs communautés religieuses (ex: PSNS)? Ce sont des questions qui sont intéressantes à poser du fait qu’elles peuvent être vérifiées. Une chose est certaine, le système confessionnel n’a pas freiné ce rapprochement et cette interpénétration qui semble augmenter d’une génération à une autre.
3. L’objection conservatrice: le bouleversement de la tradition électorale libanaise: La loi électorale libanaise traduit une certaine conception du “partage du pouvoir” (power sharing) fondée sur le principe de la diversité communautaire dans la représentation politique, la mixité communautaire dans l’élection des représentants et la collaboration trans-communautaire pour l’accès au pouvoir. Effectivement, Toutes les circonscriptions actuelles sont plurinominales, et la majorité est mixte aussi bien au niveau du collège électoral que des sièges parlementaires à pourvoir. Ceci oblige des politiciens appartenant à certaines communautés à s’allier à des politiciens appartenant à d’autres communautés, à courtiser des électeurs appartenant à plusieurs communautés et à envisager comme rivaux principaux des candidats appartenant à leur propres communautés (car c’est contre eux seuls qu’ils concourent). Les effets escomptés de ce système électoral sont multiples: au niveau de la classe politique, il est censé produire une élite trans-communautaire rompue aux alliances trans-communautaires (puisqu’elle doit son accès au pouvoir à une délibération trans-communautaire). Au niveau du discours, il est censé encourager la modération communautaire (puisque l’extrémisme coutera des voix aux politiciens). Au niveau de l’exercice du pouvoir, il est censé conduire à la neutralité communautaire des politiques publiques… Or, les effets escomptés de notre système politique ne se produisent plus ou ont été dévoyés. Comment alors justifier notre attachement à ces mécanismes? Peut-on continuer à refuser d’examiner les raisons de cette neutralisation des effets et ne pas explorer d’autres pistes?

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Le “mariage civil”: un pari risqué et fortement idéologisé

Posted by worriedlebanese on 01/02/2013

a17bLes mujahidin du mariage civil au Liban s’enflamment sur cette question, réchauffent des arguments qui datent des années 1930 et la traitent en méprisant les enseignements d’expériences similaires conduites dans des pays qui nous ressemblent. Je pense à la Bosnie, à l’Égypte, à la Syrie et à l’Iraq. Pire, ils n’essayent même pas de profiter de nos propres expériences en la matière. Ils restent abstraits et nous balancent leur crédo. Sous l’étiquette “progressiste”, les partisans du “mariage civil au Liban” se rapprochent plutôt des détracteurs du “Mariage pour tous” en France surtout sur le plan de la méthode.
Je ne traiterai que brièvement deux des présupposés brandis par nos mujahidin.

#1. Le MARIAGE CIVIL est un pas vers la DÉCONFESSIONALISATION et la PAIX CIVILE.
– La Bosnie a expérimenté pendant un demi siècle avec un mariage civil exclusif… mais aussi avec l’économie d’État, le parti unique et plein de techniques de brassage et d’uniformisation musclés… Dans les années 1990, plus d’un tiers des bosniens était issu d’un mariage mixte. Est-ce que cela a empêché l’éclatement de la plus sanguinaire des guerres yougoslaves et l’exécution de stratégies de nettoyage ethnique?
– L’Égypte, la Syrie et l’Iraq ont dans les années 1960 et 1970 expérimenté chacune à sa manière avec la laïcisation… Suppression des tribunaux religieux ici, promulgation d’un code civil là… Sont-ils pour autant plus “libre” ou “déconfessionnalisé” que nous? Leur histoire récente tend à montrer le contraire.

#2. Le MARIAGE CIVIL est une OPTION LIBÉRALE qui assure les DROITS des CITOYENS.
– Qui d’entre vous a lu le projet de mariage civil d’Elias Hraoui? Savez-vous que ce projet extrêmement conservateur aurait compliqué la vie de ceux qui se sont mariés (ou se marieront) à l’étranger? J’appartiens à une famille où deux générations se sont mariées civilement. En cas de promulgation du mariage civil au Liban, un des mariages sera plus compliqué à défaire et l’autre sera dissous. Est-ce que ça augmente nos libertés ou est-ce que ça les réduit?
– En 1959, le Liban a expérimenté avec la première “laïcisation” en matière de statut personnel: celle du droit successoral. Face à la protestation des autorités religieuses et la pression de l’ordre des avocats (en ce temps majoritairement chrétien), la loi fut adoptée… mais réservée aux seuls “non-mahométans”. Depuis cette date, la législation catholique en matière successorale a évolué (ceci concerne 6 des 13 communautés soumises à la législation civile)… mais pas le droit civil libanais, rendant la législation catholique plus libérale que la législation laïque en matière de succession des enfants… plus libérale mais non valide au Liban… laïcisation du droit successoral oblige…

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جمهورية المزارع في حداد

Posted by worriedlebanese on 20/10/2012

Hier, la République des fermes a perdu un de ses plus valeureux fonctionnaires, un haut-fonctionnaire de la République, le fidèle fonctionnaire de l’une de ses fermes. Wissam al-Hassan a été assassiné alors qu’il exerçait ses fonctions au sein de la République, au sein de la ferme à laquelle il appartenait, celle qui se proclame fidèle à la mémoire de Hariri (Père et/ou fils) et que certains assimilent au Moustaqbal, celle qui est revendiquée par le XIV Mars® et que se sont arrogés hier les obstructeurs de routes (au nom de la communauté sunnite).
Wissam al-Hassan dirigeait un service des renseignements “ad hoc”, celui des Forces de sécurité intérieure (FSI), façonnée à la mode baathiste, sans assises ni encadrements légaux, à la va-vite, pour répondre à des besoins urgents:  la méfiance qui régnait entre les différentes fermes du pays, le pouvoir attribué à d’autres fermes sur les services sécuritaires existants, le danger (bien réel) de mort qui menaçait les personnalités du XIV Mars® et la défense de ce qui était tenu pour sacré, le châtiment des auteurs de l’attentat du 14 février 2005.

Nombreux sont ceux qui accusent la Syrie de ce crime, de la même manière qu’ils accusaient Israël jusqu’en 2005 de tous les crimes. C’est certainement vraisemblable, mais peut-être pas vrai. Là n’est pas la question. Attendons les résultats de l’enquête et continuons à nous méfier de ceux qui nous ont déjà fait du mal. Rappelons-nous que cette désignation d’un ennemi comme responsable de tous les maux est devenu un réflexe si profondément ancré dans nos moeurs politiques que toute enquête devenait inutile; on ne faisait même pas semblant. Alors on a simplifié l’équation: attentat = accusation + déblayage immédiat + retour à la normalité. À quoi bon dépenser tant d’efforts pour prouver ce qui allait de soi. Une partie des libanais l’a toujours fait à l’encontre d’Israël, l’autre partie à l’encontre de la Syrie. Et il est possible de passer du premier groupe au second, et inversement. De toute manière le mécanisme est le même.
Hier comme aujourd’hui, politiciens et éditorialistes s’agitent, pointent leur doigt accusateur, attisent la haine, agitent les franges les plus fragiles de la société et embrigadent ceux qui cherchent un semblant de confort dans des certitudes factices. Ils essayent de raviver la République pourfendue des émotions qui a vu le jour en mars 2005. Mais une chose a changé depuis… l’enquête se poursuit… spontanément. Le bloc urbain qui entoure le lieu de l’attentat est toujours bouclé, des enquêteurs poursuivent leur collecte d’indices. Les moeurs de nos politiciens et journalistes n’ont manifestement pas changé, mais celles de certains de nos services sécuritaires si. Et nous devons en partie ce changement à Wissam al-Hassan.

Il serait facile pour moi et pour ceux qui me ressemblent de céder à la tentation de balayer cet assassinat, cet attentat ciblé, en se concentrant sur ses dégâts collatéraux. Après tout Wissam al-Hassan faisait partie d’une ferme qui nous est étrangère, et à laquelle nous ne nous identifions d’aucune manière (ou contre laquelle nous avons longtemps été particulièrement hostiles). Alors que l’attentat a eu lieu dans un quartier que nous habitons ou avons habité, à deux pas d’un grand nombre de nos proches (famille et amis) et de visages familiers. Sans aucun doute, j’aurai du mal dans quelques années à me rappeler du nom de la victime que cette explosion avait pour cible. Mais je n’oublierai jamais l’attentat en lui même: ni la transformation apocalyptique de ce quartier si familier, ni le bruit des éclats de verre que l’on balayait sur chaque étage, dans chacun de ses immeubles, jusqu’à tard dans la nuit.

En écoutant les discours qui pleuvent aujourd’hui autour de cet assassinat, je pourrais me répéter que Wissam al-Hassan était le fidèle fonctionnaire de l’une des nombreuses fermes de mon pays. Il en était même devenu l’un de ses symboles. Cette vérité est incontestable. Mais le pas entre le réalisme et le cynisme est vite franchi. Tâchons de ne pas l’enjamber sans même s’en rendre compte. Est-ce que cette appartenance efface son professionnalisme, son dévouement à sa fonction, son courage? Qualités que même ses adversaires politiques lui concèdent. Est-ce que cette appartenance efface la douleur que sa disparition a provoqué parmi ses proches, sa femme et ses enfants réfugiés depuis un certain temps à Paris, ses amis, ses collègues et même les membres de sa ferme (ou ceux qui s’y identifient) qui se sentent directement visés et affaiblis par sa disparition? Certainement pas.

Wissam al-Hassan était un compatriote. Il était fonctionnaire dans un État morcelé en de nombreuses fermes. Il a servi son pays comme il le pouvait, à travers les allégeances qu’il avait, avec les convictions qui étaient les siennes. Il a été assassiné dans ses fonctions, en raison de ses fonctions. La république est en deuil, et elle l’est justement. Elle l’est même doublement, pour avoir perdu un de ses hauts fonctionnaires, et pour avoir perdu tout sens républicain face au cynisme des uns et à la récupération des autres.

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La Syrie en six scenarii et une bonne dose d’élucubrations géopolitiques

Posted by worriedlebanese on 18/07/2011

"And Assad vanquished"... Found of facebook

Peut-on imaginer un pire article sur la crise syrienne que celui paru dans Le Mondece mardi ? Si vous l’avez raté, retrouver l’article de Hosham Dawod, “Quand le régime syrien tombera”, ici. L’analyse politique y est réduite au plus bas degré d’une discussion de comptoir au café de commerce… mais cette fois estampillée « CNRS ».  Son auteur est anthropologue, mais il le cache bien. Loin de toute approche anthropologique, il s’adonne à la spéculation politique la plus débridée en montant d’abord des scénarii sans rapport avec la dynamique socio-politique qui a cours en Syrie, pour ensuite enchainer dans des digressions géopolitiques « comme on les aime ». Mais alors pourquoi s’attarder sur son texte et perdre quelques heures dans son analyse et sa discussion ? L’exercice peut paraître futile si l’on cherche à comprendre ce qui se passe en Syrie. Mais il se révèle extrêmement intéressant si l’on cherche à éviter de tomber dans les mêmes écueils en s’adonnant à une analyse aux mêmes ambitions prospectives.

J’imagine d’abord que l’auteur de l’analyse se veut de gauche puisqu’il ajoute une couche économique à son analyse qui se veut renseignée sur les dynamiques ethniques au sein des différents pays du Proche-Orient. Mais cette couche est bien mince, à l’image de l’analyse. En fait, peu importe les préférences idéologiques de l’auteur, puisqu’elles n’ont pas d’incidence sur sa soi-disant analyse. Celle-ci appartient à un genre qui dépasse tout cantonnement idéologique, celui qui domine les analyses du Proche-Orient, quelque soit l’appartenance nationale ou idéologique de leurs auteurs.

La spéculation scénaristique
Même s’il énumère 5 scenarii, l’auteur en vérité présente 6, mais qualifie la première de modèle. Le plus surprenant dans l’exercice est qu’il n’essaie que rarement de mesurer les chances de matérialisation du scénario. Bon, il est vrai que l’information disponible sur la Syrie est à la fois réduite et médiocre. Le régime et ses opposants se sont lancés dans un exercice de désinformation totale qui s’articule autour de deux idées :
–       le régime prétend que les protestataires sont islamistes et manipulés par l’étranger. Il a donc tendance à éliminer ou à mésestimer toute information qui va dans le sens d’une protestation authentiquement syrienne et économique, même si elle est à dominante arabo-sunnite.
–       les opposants prétendent que le régime est strictement aléouite (comme si une communauté pouvait gouverner…) et que la répression est soutenue par des forces chiites (Iran et Hezbollah). Tout élément qui n’entre pas dans cette lecture strictement communautaire est ignoré.

On comprend que l’auteur évite de peser les différents scenarii pour des raison quantitatives et qualitatives liées à l’information. Mais alors quel est l’intérêt de cette spéculation scénaristique ?
Il aurait dû commencer par énumérer les ingrédients de cette crise… tout au moins ceux que nous connaissons. Certes, il en mentionne un grand nombre en passant mais sans s’y attarder et sans les intégrer dans une analyse de la dynamique.

Passons en revue les différents scenarii qu’il énumère et essayons de les retraduire en terme plus significatifs

  1. Scénario de l’équilibre entre répression et de réforme « à l’Algérienne ». C’est en gros la voie choisie par le régime. Mais ce scénario a été accompagné par une guerre civile d’une violence extrême (1991–2002) et d’un accaparement du pouvoir (et des ressources rentières) par l’armée qui gère seul un processus de réforme extrêmement lent et hésitant (depuis 2002). La situation en Syrie est bien différent. On ne peut pas encore parler de guerre civile et il n’est pas certain que le régime puisse survivre longtemps avec un niveau de contestation qui risque d’accroitre.
  2. Scénario répressif réussi : comme en « Iran en 2009 ». Là aussi, la situation est différente et en annonçant très tôt des réformes, le régime a montré qu’il voulait combiner répression et réforme. Ceci est bien différent de la situation Iranienne où le régime ne voulait même pas entendre parler de réforme.
  3. Scénario de la réforme du régime. Avec une absence totale de crédibilité, cette option semble peu probable
  4. Scénario de la dissension au sein du régime « à l’égyptienne » ou « à la tunisienne ». Encore faut-il qu’il y ait des institutions autonomes qui puisse procéder à un “coup d’État” comme en Egypte et en Tunisie. Mais ces institutions n’existent pas en Syrie. Et ce scénario ne pourra faire surface que si le régime s’entredéchire, avec le risque que ce déchirement précipite sa chute.
  5. Scénario de la dissension au sein des élites au pouvoir. Là aussi, il faudrait qu’une partie de l’élite soit sûr qu’elle court peu de risque à ce dissocier du régime. Ce n’est manifestement pas le cas aujourd’hui.
  6. Scénario de l’intensification du cycle « protestation/répression » et de la polarisation ethnique de la société qui mène à la guerre civile. La Syrie est déjà dans ce scénario, tout au moins la première partie, celle de la polarisation ethnique de la société.

Les élucubrations géopolitiques
Hosham Dawod passe en revue : la Turquie, la Jordanie, l’Iraq, Israël… Après nous avoir confié d’un ton marqueur que « l’Orient arabo-musulman se fait et se défait dans l’imaginaire de certains politiques locaux en adoptant toujours la forme du croissant », c’est dans ces même termes qu’il prétend analyser les préférences des différents régimes au Proche-Orient ou en Occident.
Mais en fait, il n’avait pas besoin de tous ces développements pour arriver à une conclusion qui semble évidente. Tous les régimes craignent l’écroulement du régime syrien, et préfère qu’ils moyennant quelques réformes.

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Les effets de la transition syrienne: rébellion, réforme ou révolution?

Posted by worriedlebanese on 17/07/2011

Carte de la Contestation

Le niveau de la contestation politique en Syrie est tel que l’on peut indéniablement parler de rébellion. La grande question que tout le monde se pose est de savoir si cette rébellion va être écrasée ou si elle va réussir à renverser le régime en place. Il est indéniable que la Syrie s’est engagée dans une “transition” depuis plus de dix ans, suite au décède de Hafez al-Assad et à l’avènement de son fils, Bachar. Effectivement, on peut remarquer d’importants changements sur plusieurs plans: économique, politique, culturel et communautaire.

Une économie mixte ou à deux vitesses 
Depuis l’arrivée au pouvoir de Bashar Assad, l’économie syrienne s’est considérablement transformée. Elle est devenu en quelque sorte mixte : elle a conservé sa dimension socialiste et elle a intégré une dimension capitaliste. D’un côté, l’économie traditionnelle et “socialiste” s’est écroulée, et de l’autre de nouveaux secteurs se sont développés. Mais au lieu d’intégrer ces deux dimensions, elle les a complètement dissocié. Ceci a donné naissance à une économie à deux vitesses qui est en contradiction avec l’idéologie officielle et qui ne répond pas aux attentes de la majorité des Syriens. Le résultat est l’augmentation du chômage, la destruction ou l’appauvrissement de certains secteurs de l’économie (artisanat, agriculture traditionnelle), la production de nouvelles richesses et de nouvelles habitudes de consommation (nouveaux complexes industriels, expansion du secteur éducatif privé, intégration dans l’économie mondialisée avec entrée d’enseignes internationales…).

Une dissonance politique entre discours et pratique
Le régime tout en prônant l’ouverture s’est en fait considérablement refermé depuis son retrait du Liban. Une partie de la « vieille garde » a été écartée du pouvoir. Et plus de quarante ans de gestion politique informelle (qui ne respecte pas les institutions et les divisions fonctionnelles du pouvoir, mais qui fonctionne à travers de multiples réseaux transversaux) a évidemment vidé les institutions de toute substance et font apparaître ces institutions pour ce qu’elles sont, des coquilles vides, ou plutôt des cadres dépourvus de toute autonomie qui sont investis par des forces qui les traversent et qui les dépassent.
Tant que ce système satisfaisait la population sur le plan économique en assurant une répartition des richesses perçue comme équitable, les citoyens syriens étaient prêts à répéter le discours officiel et à y adhérer en dépit de son caractère formel (dogmatique et détaché de la réalité). Mais depuis que les différences de classe sont de plus en plus visibles, le discours économique sonne de plus en plus creux et la légitimité du régime se trouve ébranlée.
En fait, l’étendue de la gestion informelle par le régime est telle que l’on ne peut même plus le qualifier de « baasiste » puisqu’il a également vidé le parti baas de toute substance.  

L’accès à la production culturelle occidentale 
En dépit des bouleversements économiques des dernières années, la transition culturelle de la Syrie n’a pas encore atteint le même degré que l’Egypte et la Tunisie par exemple, en raison de l’isolement relatif de la Syrie sur ce plan et son entrée tardive dans le processus. Effectivement  les élites culturelles syriennes sont relativement peu mondialisées ou intégrées à des structures transnationales (à la différence de leur pendant Egyptien et Tunisien). Au niveau des classes moyennes, l’accès à la production culturelle occidentale (à travers l’internet et les satellites) progresse mais n’a pas encore atteint un degré suffisant pour influer sur la dynamique politique.
Toutefois, les mouvements de rue massifs et pacifiques de 2005 au Liban, et de 2011 en Egypte et en Tunisie ont certainement enrichi la culture politique syrienne en y intégrant une nouvelle forme de pratique politique.

La confessionalisation des discours
La Syrie n’a jamais expérimenté pleinement avec un système formel de répartition communautaire du pouvoir, à la différence du Liban. Je dis pleinement parce qu’en fait, on peut déceler en ces matières quelques expérimentations formelles et une pratique informelle.
Sur le plan formel, le régime syrien privilégie principalement les Arabes et quelque peu les Musulmans au sein de sa population puisqu’il se veut strictement Arabe et considère la Shari’a comme étant une source de la législation tout en réservant la présidence de la république à un musulman. La proclamation de l’arabité de la Syrie a effectivement eu des incidences pratiques sur les minorités : elle s’est accompagnée d’une politique d’arabisation à l’encontre de ses minorités non-arabes : kurdes, turques, arméniennes, assyriennes et gitanes. Et s’est mise en pratique à travers des instruments d’ingénieurie ethnique (« ethnic engineering ») à l’encontre de la communauté kurde : exclusion de la nationalité, négation de la langue et colonisation arabe dans ses régions.
Sur le plan informel, on trouve une pratique qui prend en compte des considérations communautaires. Ceci s’effectue à travers la constitution de relations de confiance à dominante confessionnelle qui manipulent des réseaux d’influences et d’intérêts. Il existe par ailleurs une autre pratique informelle de gestion du pluralisme communautaire. Celle si s’opère à travers la négociation et la manipulation des élites communautaires. Sur le plan religieux, le régime Syrien intervient dans la nomination de toutes les élites religieuses syriennes à un degré qui n’a pas de précédent dans l’histoire du pays. Et dans une société qui est fragmenté sur le plan confessionnel, le pouvoir intervient également dans les relations « intra-communautaires » pour s’assurer de la fidélité des élites communautaires.
Au niveau du discours et de la mobilisation, un changement important a eu lieu suite à la gestion par le régime de la révolte populaire. Les considérations confessionnelles étaient taboues en Syrie jusqu’à peu de mois. On ne parlait des enjeux confessionnels qu’en petit comité, de manière discrète. Depuis quelques années, les marqueurs identitaires ont commencé à devenir de plus en plus publique. Que ce soit le voile intégral (niqab) dans les quartiers sunnites ou les croix affichés par les chrétiens. Lors d’un voyage en Syrie après la guerre de juillet, j’avais même remarqué que les portraits de Hassan Nasrallah étaient devenus confessionnelles. Lorsqu’on les voyait affiché à côté de la photo du président Syrien, il y avait de forte chance que ce quartier soit Aléouite. Mais même à cette époque, la question confessionnelle restait religieuses, et les Syriens s’amusaient à se moquer du Liban et de son confesssionalisme. Aujourd’hui, le tabou est tombé, surtout après la violence extrême qui s’est déployée à Daraa. Les Syriens sont de plus en plus nombreux à parler de leur appartenance confessionnelle, et surtout à exprimer leur hostilité par rapport à un autre groupe. Et ceci est particulièrement vrai dans les milieux de l’opposition au régime.

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A qui confier la direction générale de la Sûreté générale?

Posted by worriedlebanese on 14/07/2011

Suite au décès de Wafic Jezzini, le poste de Directeur de la Sûreté Générale est vacant. En cela il n’a rien d’extraordinaire. Il ne fait que rejoindre la centaine de postes vacants qui attendent que le Conseil des ministres procède aux nominations nécessaires pour les remplir… Et cela fait de nombreuses années que le Conseil des Ministres remet cette question en raison de la complexité des négociations qui entourent cette question. En effet, non seulement il faut respecter les quotas confessionnels (ce qui en fait devrait faciliter les nominations), mais il faut prendre en compte les allocations de parts entre les réseaux clientélistes et les forces politiques.

La particularité de la vacance du poste de Directeur de la Sûreté Générale tient au fait que les politiciens se disputent aujourd’hui son attribution confessionnelle. Jusqu’en 1998, cette fonction revenait à un maronite qui était généralement nommé par le Président de la République. En 1998, Emile Lahoud a soutenu la candidature de Jamil Sayed à ce poste, alors même qu’il était chiite.

Notons que l’accord de Taef a aboli les quotas confessionnels à l’intérieur de l’ensemble de l’administration publique excepté les fonctions de première catégorie. Toutefois, les règles en cette matière ne sont pas claires. Faut-il suivre le système du partage proportionnel ou celui de la parité? Par ailleurs, aucune disposition ne prévoit des sièges réservés. Et il a même été question de procéder à un système de rotation confessionnelle des sièges. Toutefois, ceci complique les négociations et peut perturber l’action des réseaux clientélistes. D’ailleurs, à ma connaissance, le principe de la rotation n’a été appliqué qu’une seule fois : au début des années 1990 un recteur chiite pour l’Université Libanaise, après une série de recteurs maronites (et un recteur Grec Catholique). Mais la rotation s’est arrêtée-là, et ce poste revient désormais à un Chiite proche de la mouvance Amal. Cela dit, ce qui est intéressant dans le cas de Jamil Sayed est qu’il n’était appuyé par aucun patron libanais, d’ailleurs il entretenait de mauvais rapports avec Rafik Hariri et Nabih Berry, et mêmes ses relations avec Emile Lahoud n’étaient pas toujours au beau fixe en raison de son autonomie et de son pouvoir.

Dans le cas qui nous intéresse, les rumeurs veulent que le Président de la République et le Patriarche Maronite réclament aujourd’hui le retour de ce poste aux “maronites”. Michel Aoun a quant-à-lui déclaré mardi qu’on lui “réclame de récupérer le poste” mais que cela devait être débattu avec “ses” amis, c’est-à-dire ses alliés Chiites, et plus spécialement Nabih Berry qu’il a d’ailleurs nommé. Par ailleurs, le Vice-Président de la Chambre, Farid Makari, et le Vice-Président du Conseil des ministres, Samir Moqbel, semblent tous les deux appuyer l’attribution de ce poste à un Orthodoxe. Alors que d’après le quotidien Al-Liwa’, le Hezbollah proposent à ce poste le Brigadier Général Abbas Ibrahim (numéro 2 du deuxième bureau), proposition que rejette Nabih Berry. Pour compliquer encore plus les choses, le quotidien Daily Star rapporte que Nabih Berryaccepte d’attribuer ce poste à un maronite, à condition que le chef de l’armée soit attribué à un Chiite. Al-Liwa’ nous dit que le raisonnement de Nabih Berry était qu’il existe trois positions sécuritaires importante au Liban: celle de chef de l’armée, de directeur des Forces de Sécurité Intérieur (FSI) et de directeur de la Sûreté Générale. Et qu’il était donc normal que la distribution se fasse entre les trois premières communautés. L’approche “sectorielle” de la répartition communautaire est intéressante. Elle ressemble à celle qui a lieu à l’intérieur de l’Université Libanaise et à l’intérieur du corps diplomatique. A la seule différence que dans ces derniers cas, on est en présence d’un même “corps”, alors que les services de sécurité libanais sont complètement éclatés et sont soumis à des hiérarchies distinctes. Par ailleurs, le raisonnement du Président de la Chambre ne tient pas compte de trois autres postes sécuritaires: chef du deuxième bureau, directeur du service de renseignement des des FSI et le Directeur des Forces de Sécurité de l’Etat. Ceci ramène les postes sécuritaires sensibles à 6…

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Retours Martyrologiques

Posted by worriedlebanese on 07/07/2011

En lisant le discours de Ziad Qadri, j’ai appris que son père avait été assassiné. Cela m’a surpris parce que le nom de Nazim Qadri ne figure pas dans la liste des Martyrs du XIV Mars qui est souvent scandée par les politiciens ou les journalistes… et qui d’ailleurs est de temps en temps illustrée sur la télé ou sur les pancartes. J’ai effectué une petite recherche sur google pour me renseigner sur les circonstances qui entourent sa mort et je suis tombé sur cette liste de martyrs. Saviez-vous que la soeur de Joumblatt avait été assassiné à Beyrouth Est un an avant son frère?
A sa relecture, j’ai remarqué que les noms relevaient à peu près du consensus national, c’est à dire qu’ils excluaient certaines personnes pour des raisons essentiellement politiques… d’où quelques rajouts qui ont le méritent de montrer le caractère fragmenté de listes martyrologiques. En cherchant, je suis d’ailleurs tombé sur une liste qui me semble plus intéressantes que d’autres: les assassinats politiques au Liban depuis l’indépendance.

Figures politiques
. Riyad el-Solh, premier ministre du Liban, 17 juillet 1951
. Mohammad Abboud, député, 1952
. Albert Hajj, député, 17 avril 1961.
. Farjallah Hélou, secrétaire du Parti Communiste, 25 juin 1959.
. Naïm Mghabghab, Député Chamouniste, 1959
. Maarouf Saad, 6 mars 1975
. Linda Joumblatt, sœur de Kamal Joumblatt, 21 mai 1976
. Kamal Joumblatt, président du parti socialiste progressiste et leader du Mouvement National, 16 mars 1977
. Tony Frangié, député, chef du parti Marada, 13 juin 1978
. Béchir Gemayel, chef du parti des Forces Libanaises, président du Liban, 14 septembre 1982
. Rachid Karamé, premier ministre du Liban, 1er juin 1987
. Nazim Qadri, député, 21 septembre 1989
. René Mouawad, président du Liban, 22 novembre 1989
. Dany Chamoun, chef du Parti National Libéral, 21 octobre 1990
. Abbas Mousawi, secrétaire général du Hezbollah, 16 janvier 1992
. Elie Hobeika, ancien chef des Forces Libanaises, 24 janvier 2002
. Jihad Jibril, chef des milices du FPLP-CG, 20 mai 2002
. Rafic Hariri, premier ministre du Liban, 21 février 2005
. George Hawi, chef du parti communiste libanais, 21 juin 2005
. Pierre Gemayel, député, membre du parti des Phalanges, 21 novembre 2006
. Imad Moughnieh, responsable du renseignement au sein du Hezbollah, 12 février 2008

Figures médiatiques
. Nassib Metni, directeur du Télégraphe, 8 mai 1958
. Kamel Mroué, directeur du Hayat, 16 mai 1966
. Ghassan Kanafani, rédacteur en chef du Anwar, 8 juillet 1972.
. Edouard Saab, rédacteur en chef de l’Orient-Le Jour, 16 mai 1976
. Salim al-Lawzi, éditeur du magasine Al-Hawadith, 24 février 1980
. Riyad Taha, chef du syndicat des journalistes, 22 juillet 1980
. Gebran Tueni, rédacteur en chef du Nahar, 12 décembre 2005
. Samir Kassir, éditorialiste au Nahar, 1er juin 2006

Figures religieuses
. Musa Sadr, President du Conseil Supérieur Chiite, 31 août 1978
. Hassan Shirazi, 5 mai 1980.
. Albert Khreish, 5 mai 1988
. Hassan Khaled, Mufti de la République, 16 mai 1989
. Nizar Halabi, Chef des Ahbach, 31 août 1995

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“Détournement de Fond”

Posted by worriedlebanese on 27/06/2011

Titre: “Détournement de Fond
Auteur: d’Élie Fayad.
Date: Jeudi 23 Juin 2011.
Genre: Editorial… Exercice littéraire, accessoirement journalistique (puisque ce genre d’article ne contient pas d’informations, mais quelques allusions à des faits – pas nécessairement avérés – ou plutôt à des dires). Exercice en fait éminemment politique mais d’un genre particulier. Généralement, il se réduit à une distribution de gommettes ou en l’occurrence à une réprimande (comme en maternelle)… l’éditorialiste devient instituteur qui évalue un élève : “insolence”, “bougeotte”, “trublion”, “il lui arrive, comme c’est le cas ces jours-ci, de dépasser les bornes”, “il s’agite ces jours-ci”.
Total de mots: 804!
Structuration:
Introduction: 410 mots. Thème: “l’insolence de Michel Aoun” (qui s’achèvent avec 101 mots d’auto-justification et d’auto-congratulation).
Corps du sujet: 305 mots (dont 100 mots de digression géopolitique). Thème: “Détournement du débat public”
Conclusion: 89 mots. Thème: “l’agitation de Michel Aoun”.

Analyse descriptive
A l’intérieur de chaque thème, Élie Fayad traite de plusieurs questions qui ne sont pas sans intérêts, mais dont malheureusement les conclusion sont systématiquement détournés à des fins politiques (ou plutôt politiciennes, comme nous le verrons plus tard). Tout d’abord, Elie Fayad décrit un des “fossé[s] de la haine entre Libanais”, celui qui traverse les communautés chrétiennes. D’un côté, nous trouvons les partisans de Aoun “qui se laissent impressionner par [s]es stratagèmes” et interprètent ses prises de positions comme un “signal audible d’une volonté collective de changement”, un signe de sa “différence à l’égard d’une classe politique perçue comme étant complaisante, médiocre, corrompue”. Et de l’autre côté, on trouve les détracteurs de Aoun qui savent que cette “idée” de changement est une “illusion” et qui trouvent ses boutades “déplaisantes”… L’éditorialiste ne cache pas son positionnement, il se range clairement dans ce dernier camp et ne cache pas son mépris de l’autre, gorgé “de nombreux imbéciles à travers le pays”, qui se laisse “impressionner” par ce “troublions”, et se laisse berner par une “illusion” de changement.

En fait, derrière une bonne couche de mépris et une deuxième couche de parti pris, l’analyse d’Élie Fayad est par moments pertinente. Effectivement, les partisans de Aoun sont généralement des personnes qui rejettent la classe politique libanaise “perçue comme complaisante, médiocre, corrompue”… Mais serait-ce  juste une question de perception comme le laisse entendre Élie Fayad? Personnellement, je ne vois pas comment on pourrait de manière objective dresser un bilan positif de cette classe politique. Quant aux détracteurs de Aoun, l’éditorialiste indique que généralement, ils sont rebutés par le style de communication de Aoun, et la personnalité qui s’en dégage: “tentatives d’humour”, “un peu de victimisation et de beaucoup de paternalisme protecteur”. Et là aussi, peut-on vraiment leur en tenir rigueur? Le discours du CPL (le parti, la télévision et les porte-paroles) qui se veut “décontracté” et “franc” est indéniablement grossier. Et jusqu’à maintenant ce parti s’est fait surtout remarqué par son style de communication plus que par son action politique.

Ce qu’il y a de plus étonnant dans cette bipolarisation en milieu chrétien autour de la figure de Aoun est le fait que jusqu’à la formation du deuxième gouvernement Miqati, le chef du CPL demeurait un des acteurs politiques les moins importants sur la scène politique en terme de pouvoir, et que finalement il n’existe pas de différences idéologiques importantes entre lui et ses rivaux politiques en milieu chrétien. Le conflit porte sur la géopolitique (d’ailleurs, c’était l’unique thème de campagne dans les circonscriptions chrétiennes durant les dernières élections législatives) et sur la stratégie d’intégration au pouvoir quadripartite (les deux questions étant évidemment intimement liées).

Quant au corps du sujet, celui qui traite de la thématique principale de l’éditorial annoncée par le titre, son analyse descriptive ne semble pas aussi intéressante que sa soumission à une approche plus analytique. Juste un point mériterait d’être traiter, celui qui est suggéré lorsque l’éditorialiste se demande si le général estime que

le mal, la pourriture, la corruption se trouvent dans un camp et pas dans l’autre, ou alors que cet autre est appelé à se purifier à son contact

Élie Fayad met son doigt sur une incohérence fondamentale dans la stratégie de pouvoir du CPL. Afin d’intégrer le jeu politique, ce parti a dû s’allier d’abord à des petits patrons régionaux chrétiens (Suleiman Frangieh au Nord, Michel Murr au Centre et Elias Skaff à l’Est), pour ensuite s’allier à deux piliers du pouvoir quadripartite. Comment est-ce que le CPL justifier son combat contre la corruption et la classe politique en s’alliant à une partie d’entre elle? Ne perd-il pas de sa crédibilité ou fait-il preuve de pragmatisme? ou est-ce que cette alliance est juste une stratégie pour accéder au pouvoir ou a-t-elle d’autres incidences sur le jeu politique?

Approche analytique:

1. Élie Fayad, acteur politique (ou le renversement de la fonction professionnelle) 
L’introduction qui fait la moitié de l’article n’a pas beaucoup de sens si l’on se tient à son thème. Elle est aussi peu utile à l’argument de l’éditorialiste que la référence à Emile Zola.

“Que l’impertinence soit parfois salutaire, qu’elle suscite de nécessaires remises en question et brise le ronron de la médiocrité, nul ne saurait le nier. Au moins depuis le « J’accuse » d’Émile Zola, tout le monde convient que la vie publique ne peut que gagner en qualité à être secouée de temps en temps par un cri, une bousculade, un geste d’insolence”. 

L’inutilité d’un développement par rapport à l’argument central est en fait un indice qui nous invite à chercher son sens ailleurs que dans l’argument. La référence incongrue au “J’accuse”, par exemple, est manifestement un référent culturel qui agit en tant que marqueur identitaire qui sert à souligner l’appartenance commune du lecteur et de l’auteur à un groupe valorisant (cultivé, francophone, francophile…). De même, consacrer la moitié de l’article à un thème introductif qui aurait bien pu être résumé en deux lignes montre que l’enjeu de ce développement est ailleurs. La clef de ces développement se trouve dans le dernier quart de l’introduction, dans une sous-partie qui sert non seulement où le journaliste justifie sa démarche et s’en félicite.

“l’homme politique – ou le journaliste – qui dénonce l’impertinence de ce dernier ne fait en cela que confirmer son appartenance à l’establishment « pourri » qu’il est nécessaire d’extirper pour que le pays vive et prospère. Après tout, le « combien-Hariri-vous-paie-t-il-à-la-fin-du mois ? » est la phrase fétiche la plus répétée par de nombreux imbéciles à travers le pays et elle le restera encore longtemps. Pour répliquer à Michel Aoun, il faut donc changer de perspective. Ne pas critiquer son insolence, mais au contraire, son… manque d’insolence vraie ou, si l’on veut, son insolence calculée. Car elle l’est à plus d’un titre”.   

Nous remarquons ici l’identification extrêmement significative opérée dès le départ entre la figure du politicien et celle du journaliste. Ce tiret, dont la fonction en tant que signe de ponctuation devrait être celle d’encadrer une incise (de la même manière qu’une parenthèse), joue ici un tout autre rôle; celui d’un trait d’union. Effectivement, l’éditorialiste justifie ce rapprochement des deux catégories en laissant entendre qu’ils subissent les mêmes accusations de la part de Michel Aoun. Et suivant la logique, “même ennemi… même combat… mêmes armes”, l’éditorialiste met en commun leur fonction, rend les deux figures solidaires et se permet de glisser d’une catégorie à l’autre sans aucun souci. En fait, la confusion entres les deux figures ne provient pas de ce combat. Elle est manifeste au Liban depuis plusieurs décennies. Les médias ne sont pas un quatrième pouvoir, ce sont des boites à résonance politique, des auxiliaires d’un autre pouvoir, du seul autre pouvoir (qui se moque des distinctions fonctionnelles entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire). Cette confusion a des raisons structurelles (la liberté des médias va de pair avec leur absence d’autonomie financière et politique… et donc éditoriale) mais également conjoncturelles. La polarisation politique qui a marqué le pays depuis 2005 encourage cette solidarité, cette identification, et c’est sans parler de l’assassinat de deux journalistes (qui d’ailleurs relevaient des deux mondes journalistiques et politiques puisque l’un était patron de presse et député et l’autre éditorialiste et mentor de parti) dans une série d’assassinats politiques qui est venu sceller cette solidarité.

Revenons à l’article d’Élie Fayad, voyons comment il entend sa fonction, à travers le phrase qui sert à introduire le thème principal de l’article, et plus précisément à partir d’un verbe auquel il a recourt: “répliquer“. C’est ce qu’entend faire le journaliste: Répliquer à un politicien. C’est comme ça qu’il entend son rôle. Et il ira encore plus loin dans le paragraphe qui suivra puisqu’il accusera le politicien de “sélectivité thématique“, de “détournement” du “débat public […] de ce qui est essentiel pour tous vers ce qui ne l’est que pour quelques-uns“. Ici, Elie Fayad revisite la théorie américaine de l’agenda setting. Elle ne touche plus à l’information, d’ailleurs, vous l’avez remarqué, l’article, comme bien d’autres dans le journal n’en contient aucune. L’Agenda ici est strictement politique. Et le journaliste se propose de poser les priorités et même de définir ce qui est politique.

2. La définition du politique et la détermination des priorités
L’éditorialiste dénonce les priorités de Michel Aoun et présente les siennes. Il appelle cela la “sélectivité thématique”. D’après lui:

“la corruption financière est mise en avant alors que la corruption institutionnelle et toutes les autres formes d’atteinte au droit sont tues. Et pour cause : on y participe copieusement”. 

Cette phrase est particulièrement intéressante. La distinction entre “corruption financière” et “corruption institutionnelle” à vrai dire m’échappe. A mon avis, ce n’est que deux faces d’une même réalité. L’enjeu de cette distinction est à trouver ailleurs que dans la définition, peut-être à travers la figure symbolique représentative de chaque face… La figure de Rafik Hariri (ou de son successeur Saad Hariri, ou de son collaborateur Fouad Siniora) semble bien représenter la “corruption financière” en raison de l’instrument privilégié qu’il utilisait pour assoir son pouvoir et son réseau clientéliste. Alors que la figure de Nabih Berri semble bien représenter la “corruption institutionnelle” en raison de l’instrument privilégié qu’il utilise pour assoir son pouvoir et son réseau clientéliste. La distinction entendu de cette manière vise donc à dénoncer l’alliance avec l’une des figures contre l’autre figure… De la même manière, lorsque Élias Fayad mentionne les “autres formes d’atteinte au droit“, il semble viser le Hezbollah… Ce ne sont finalement pas les priorités de CPL qui sont critiqués, mais ses alliances politiques.

En fait, il y a très peu question de politique à proprement parler dans cet éditorial. Comme nous l’avons vu, l’éditorialiste s’intéresse d’abord  au discours politique, et plus particulièrement à la communication politique d’un homme. Puis, au moment où il veut rétablir les priorités, il évacue d’une seule phrase expéditive tous les éléments politiques pour s’attarder sur la géopolitique. La digression géopolitique d’Élie Fayad s’étend sur 100 mots. C’est à croire que l’éditorialiste réduit la politique à la géopolitique (ou même les confonds). Et là, il nous livre un indice sur la manière dont il mesure l’importance d’une considération politique, qu’il établit l’ordre de priorité que les politiciens devraient suivre:

Cette question n’est-elle pas à l’heure actuelle plus angoissante […]?”.

C’est l’angoisse qui détermine la priorité, la question de l’heure. Et cette angoisse est géopolitique… En fait, je me serais pas attardé aussi longtemps sur cet article si la lecture d’Élie Fayad n’était pas symptomatique de l’ambiance politique dans laquelle nous sommes plongés depuis 2005: bipolarisation en milieu chrétien autour d’une figure, mobilisation communautaire en milieu non-chrétiens, militantisme et embrigadement des médias, et l’emprise des émotion, et surtout de l’angoisse. Cela ne fait pas disparaitre le politique, mais obscurcit considérablement son analyse par ceux qui y participent.

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Habemus Majlisan!

Posted by worriedlebanese on 14/06/2011

Cinq mois de gestation – “autant qu’une chèvre”, comme l’a remarqué une amie – pour que le Liban accouche d’un gouvernement. On s’attendait à un changement notable, à un gouvernement tourné vers l’avenir. C’est peut-être ce que nous réservait la formule initiale de Nagib Miqati. Mais c’est finalement Nabih Berri qui a fait accoucher un gouvernement de 30 membres: un gouvernement résolument ancré dans la réalité la plus proche, la plus immédiate, celle du petit jeu politicien où le seul horizon est la prochaine échéance électorale (dont les contours commencent à se dessiner). Exit les ministres femmes. Aucune formation membre de la coalition gouvernementale (qui regroupe pas moins de 8 partis politiques et onze notables “indépendants”) n’a daigné proposer UNE ministre! Exit le seul “représentant de la société civile”, c’est-à-dire Ziad Baroud, qui a sans doute déçu plus d’un, mais qui jusqu’au bout a incarné par son style de communication et les valeurs qu’il représente le type de ministre auquel une majorité de libanais aspire. Exit l’espoir de l’inclusion des minorités. On avait parlé de la nomination d’un ministre Aléouite et de la réapparition d’un Ministre Protestant (à l’instar de B. Flayhan) ou Latin (à l’instar de N. de Freige)… espoirs déçus.

Avant d’examiner successivement les nouvelles dynamiques que reflète le gouvernement, commençons par une description sommaire.

Le second gouvernement Miqati comprend 8 partis politiques: CPL (6 ministres dont un d’État), PSP (3 ministres avec portefeuilles), Tashnag (2 ministres dont un d’État), Marada (2 ministres dont un d’État), Amal (2 ministres), Hezbollah (2 ministres dont un d’État), PSNS (1 ministre d’État), Parti Démocratique (1 ministre d’État). Les 11 autres ministres sont des “indépendants”.

Sur les 30 Ministres que comprend ce gouvernement, 8 sont hérités du gouvernement Saad Hariri (dont cinq gardent leur portefeuille ministériel) et 6 autres ont déjà participé à un gouvernement. Sur les 16 nouveaux ministres, 3 sont députés (S. Karam, A. Karamé, A. Terro), 5 ont été des candidats malheureux ou sacrifiés aux législatives de 2009 (Ch. Cortbawi, F. Ghosn, N. Khoury, V. Saboundjian, N. Sahnaoui) et 2 sont issus de la fonction publique (M. Charbel, P. Manjian).

Les éléments insolites du gouvernement

1. Migration communautaire des notables “indépendants”. Cette catégorie d’indépendants regroupe généralement des notables dont le capital politique n’est pas suffisamment important pour qu’ils constituent des partis politiques ou des réseaux clientélistes plus ou moins autonomes au sein de l’appareil public (étatique ou municipal). En réalité, la marge de manoeuvre politique des indépendants est extrêmement réduite, et ils doivent généralement s’appuyer sur un réseau clientéliste au sein de l’Etat, ce qui les rend très peu “indépendants”…

En raison de l’exclusion musclée de la majorité des forces politiques chrétiennes du jeu politique (de 1992 à 2005), le Liban s’est habitué d’une part à une sur-représentation de ministres chrétiens dit “indépendants” et d’autres part à une importante répartition de ministres chrétiens entre réseaux clientélistes musulmans (Chiites, Sunnites et Druzes). Cette tendance a été revue à la baisse depuis 2005 et la réintégration des principales forces politiques chrétiennes au jeu politique (grâce à la bipolarisation politique et la division des chrétiens… comme quoi la division peut faire la force). Aujourd’hui, on ne trouve que 4 ministres chrétiens “indépendants” (contre 11 ministres chrétiens affiliés à des forces politiques et des réseaux clientélistes chrétiens) : deux relèvent de la part présidentielle, un est le résultat d’un compromis entre deux personnalités maronites, et le quatrième relève du Premier Ministre sunnite).

En revanche, on retrouve ce phénomène des “indépendants” au sein d’une communauté musulmane: la communauté sunnite avec 6 “indépendants” sur les 7 ministres qui lui ont été attribués (le septième relève du réseau clientéliste Druze). Ceci a eu lieu suite à l’exclusion musclée du Courant du Future – le réseau clientéliste essentiellement sunnite appartenant à la famille Haririqu’elle a constitué depuis 1992 et graduellement transformé en un des piliers du pouvoir au Liban qui est devenu depuis 2005 la formation hégémonique sunnite.

2. Déséquilibre communautaire. Pour pallier aux défauts dans la représentativité des ministres sunnites, on a accordé aux sunnites un ministère (d’État) en plus et aux chiites un ministère (d’État) en moins… Pour la première fois depuis des décennies, on a dérogé à la règle du partage égale entre Maronites, Chiites et Sunnites. Le second gouvernement Miqati comporte 7 ministres Sunnites, 6 ministres Maronites et 5 ministres Chiites. Et on a continué dans la politique d’exclusion des petites communautés, notamment Arméniennes-Catholiques, Protestantes, Latines et Aléouites qui sont représentées au parlement mais pas au gouvernement.

3. Un régime dissocié. Le pouvoir quadripartite perd une de ses roues. Une des forces principales qui participe à la gouvernance du pays ne participera pas au gouvernement: Le Courant du Future. Son exclusion du gouvernement ne signifie pas pour autant son exclusion de la gouvernance pour trois raison:

  • Depuis les années 1980, ce réseau peut compter sur de solides relations internationales établies par la famille Hariri avec le pouvoir Séoudien, Emirati, et Kuwaitien, sans compter sur les relations avec les gouvernements et les milieux d’affaires occidentaux (et notamment Français et Américains).
  • Depuis 1992, ce réseau a infiltré l’appareil étatique à travers une politique de nomination, de protection, et de captation d’autres réseaux. Aujourd’hui, il a la particularité de pouvoir s’appuyer à la fois sur des agents et des réseaux étatiques et extra-étatiques (un grand nombre de sociétés privées dans le domaine de la construction, de la banque, des médias, de la communication…). Depuis 1998, ce réseau  a montré à plusieurs reprises que son exclusion d’un ministère ne signifiait pas l’arrêt de son influence.
  • Enfin, depuis 2005, ce réseau peut compter sur une forte mobilisation de la communauté sunnite à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Etat.

Depuis 1992, la gouvernance au Liban est constitué autour de quatre principaux groupes politiques: le Courant du Future, le Parti Socialiste Progressiste, Amal et Hezbollah. Chaque groupe politique s’appuie sur un réseau clientéliste dont trois phagocytent: le réseau clientéliste chiite de Nabih Berri, le réseau clientéliste sunnite de Rafic Hariri et le réseau clientéliste druze de Walid Joumblatt.

Jusqu’en 2005, la structuration clientéliste du pouvoir connaissait deux “anomalies”:

  • L’anomalie du Hezb. Un des piliers du pouvoir possédait un réseau clientéliste qui ne s’appuyait pas sur l’Etat, ni pour défendre ses intérêts, ni pour y puiser ses ressources. Effectivement, pour défendre ses intérêts, le Hezbollah comptait sur la Syrie, et pour ses ressources il s’appuyait sur l’Iran et la diaspora.
  • L’anomalie chrétienne. Dans la configuration quadripartite bâtie par la Syrie, les chrétiens n’avaient que deux choix: soit intégrer les petits réseaux clientélistes chrétiens de Frangieh, de Murr et des familles de Zahlé à faible rendement politique, soit intégrer les sous-réseaux clientélistes chrétiens qui relèvent des grands réseaux de Zaïm musulmans (principalement Jumblatt pour le Mont Liban méridional, Hariri pour Beyrouth et Berry pour le Sud).
Avec le gouvernement Miqati, trois nouvelles “anomalies” se sont rajoutés:
  • L’anomalie CPL: la principale force politique au gouvernement, le CPL avec ses 6 ministres, ne s’appuie pas sur un réseau clientéliste (le CPL ne semble pas avoir bâti durant ses trois années de participation au pouvoir un réseau clientéliste peut-être en raison du peu de nomination, à la différence des Forces Libanaises qui ont su être beaucoup plus efficace au sein des FSI, par exemple).
  • L’anomalie Sunnite: la principale force politique au parlement, et une des principales forces clientélistes au sein de l’appareil étatique est exclue du gouvernement. Elle est remplacée par des notables “indépendants” qui s’en rapprochent sur le fond (surtout par rapport à la politique économique et les relations internationales) mais qui ne peuvent pas remplir les mêmes fonctions symboliques et clientélistes. Ceci va créer une nouvelle dynamique qui va sans doute compliquer et alourdir le travail gouvernemental, mais peut-être profiter au Courant du Future (mais pas à ses alliés chrétiens).
  • Vers la résorption de l’anomalie Hezb? Le Hezb peut de moins en moins compter sur un appui étranger et se voit contraint de s’appuyer sur l’Etat libanais. Ceci l’a conduit à faire chuter un gouvernement et à écarter le premier ministre qui n’était pas prêt à lui accorder la couverture dont il a besoin…
Le développement des réseaux clientélistes et la manière dont ils ont phagocyté l’Etat Libanais ont conduit au développement d’un mode de gouvernance qui repose sur des règles informelles apportées par les différents acteurs afin de protéger leurs intérêts. Même si ces règles informelles contredisaient les principes formels de gouvernement (comme le pouvoir hiérarchique au sein de l’administration, la centralisation du pouvoir et la séparation des pouvoirs), le gouvernement reflétait en quelque sorte le système de partage des ressources et de répartition du pouvoir au sein de l’appareil étatique. Avec les nouvelles anomalies qui se sont rajoutées au système suite à la formation du deuxième gouvernement Miqati, nous entrons dans une nouvelle phase où le gouvernement ne reflète plus le système de gouvernance (ni la répartition des forces au sein de la société)… Cette nouvelle tension entre le pouvoir “réel” et le pouvoir “formel” ne peut perdurer sans influer sur les règles formelles ou informelles du pouvoir… La manière dont ceci se fera n’est pas encore clair.

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De l’usage de Facebook: retour sur une triple exclusion

Posted by worriedlebanese on 25/04/2011

no cracks on our cyber walls

Ces dernières semaines, trois “cyber-amis” m’ont exclu de leur page facebook. A vrai dire, je ne connaissais personnellement aucune des trois personnes, mais les motifs derrière leur exclusion me semblent intéressants et significatifs par rapport à certains usages de Facebook.

J’ai été d’abord exclu de la page de J.H. (un mois avant qu’elle ne disparaisse elle-même de Facebook), puis de celle de J-M K et enfin de la page d’A.C..

  • J.H. a décidé que j’étais un “ami de Hezbollah” en se basant sur le principe que “celui qui critique mes amis est automatiquement l’ami de mes ennemis… et donc mon ennemi”. Elle m’a donc exclu en m’envoyant un message expéditif du style “salemlé 3a tes amis du Hezbollah”.
  • J-M K., l’a fait après m’avoir courtoisement demandé – à travers un message personnel – de relever mon identité. En fait, il l’a fait une semaine de voyages successifs et rapprochés, et je n’avais pas eu le temps de lui répondre… A la fin de mon voyage, j’ai constaté qu’il m’avait exclu de sa page. Quelques semaines plus tard, j’ai découvert qu’il m’avait également exclu du “groupe de refléxion et d’action politique”, groupe auquel on m’avait invité et dont j’avais contribué à franciser le nom. Il a donc rejeté mon choix de l’anonymat (relatif) que j’ai suivi en m’inscrivant sur facebook pour ne pas verser dans l’étalage public du personnel. Je pense que l’anonymat est le seul moyen de “détourner” facebook de son usage premier et de l’utiliser comme une véritable plate-forme de discussion socio-politiques. Le motif de l’exclusion était clairement mon choix de l’anonymat. Et en quelque sorte, je le comprends puisque c’est une violation de “l’esprit” Facebook. Mais c’est justement la raison derrière mon choix! Mon pari était de m’effacer derrière des arguments pour que l’échange reste au niveau des idées.
  • Quant au Professeur A. C., il m’a rappelé à deux reprises que mes commentaires n’étaient pas les bienvenues sur sa page. J’avoue qu’ils avaient tendance à être sarcastique par rapport à certains positionnement politiques. Et pourtant je m’étais gardé de faire des réflexions personnelles (alors que de son côté, il ne s’en était pas privé sur le mur d’un ami commun). Certains de mes commentaires constatais la dynamique derrière quelques réactions que j’y lisais; la section commentaire avait tendance à se transformer en caisse à résonance, en espace de surenchère où les émotions explosaient (au dépens des arguments) et où l’on pouvait diagnostiquer un syndrome de la Tourette (à chaque fois que le nom de Michel Aoun était prononcé, ou celui du Hezbollah). M. C. m’a répété à deux reprises qu’il ne voulait pas que j’écrive des commentaires – en me disant en ces mots – que c’était son mur et par conséquent il était libre de décider de ce qui pouvait y être affiché. Face à cette sommation de me taire, non accompagnée d’une menace d’exclusion, j’avais compris qu’il fallait que je me contente d’une lecture… silencieuse! Mais j’ai découvert cette semaine qu’il avait changé sa politique, et a finalement décidé de m’exclure sans autre forme de procès… alors même que je m’étais abstenu de tout commentaire!

En fait, je ne me serais pas permis de parler de ces trois pages/profils facebook si leur usage principal n’était pas politique. Car en cela, ils rejoignent l’usage principal que j’en fais. En outre, MM J-M. K. et A. C. envisagent explicitement Facebook comme une Agora, un espace ouvert de discussion politique. Or est-ce que l’on peut toujours parler d’Agora, d’espace de discussion, lorsque le désaccord est rejeté et lorsqu’on s’érige en arbitre d’une discussion à laquelle on participe (ou qu’on initie)? Certes, un espace de délibération peut être perturbé par la présence de participants “masqués” (par l’anonymat). Toutefois, si l’anonymat pose un risque considérable, il ne constitue pas pour autant une présomption nécessaire d’abus. Il faudrait encore qu’il soit constaté. Or je ne pense pas en avoir abusé.

Comment alors expliquer ces exclusions? Est-ce que cela illustre que la discussion politique au Liban s’assume et s’affirme aujourd’hui comme fragmentée, et qu’elle cherche surtout à réconforter les lignes de fractures (au lieu de chercher à les dépasser)? Dans cette perspective, on cherche à barricader les murs de facebook afin de préserver “son” groupe en lui assurant sécurité et de réconfort…

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Bechara Raï, les promesses (pascales) d’un changement

Posted by worriedlebanese on 23/04/2011

Cela fait un mois que l’Évêque maronite de Byblos a été élu Patriarche d’Antioche et de tout l’Orient… pour les maronites. Dès la démission du Patriarche Sfeir, le Vatican nous avait promis un changement à travers l’élection d’un nouveau patriarche. Personnellement, j’aurai préféré l’élection de l’Évêque de Sarba, Mgr Guy Noujaim, personnalité cultivée et relativement progressiste de l’église maronite.
A vrai dire, j’ai été déçu par l’élection le 15 mars dernier de Mgr Bechara Raï. Ses positions conservatrices, ses affinités avec Opus Dei, son style de communication qui tient d’un certain télévangélisme, m’ont toujours gênés. Avec lui, on passait du traditionnalisme au conservatisme, d’un patriarche partisan à un patriarche authentiquement consensualiste, d’un prédicateur austère dont le ton tenait de la plainte à un prédicateur communicatif dont le ton tient de la recommandation musclée. Le changement était certes notable et bienvenue, mais pas suffisant à mon goût.

Cela dit, dès son retour de Rome, le nouveau patriarche nous a montré ce qui le rapprochait de son prédécesseur, et par quoi il s’en démarquait. Il a présidé il y a quelques jours (19 avril)  une réunion quadripartite réunissant les quatre chefs maronites des principaux bloc parlementaires chrétiens: Michel Aoun, Samir Geagea, Amine Gemayel et Suleiman Frangieh. Il a donc réussi en un mois à faire ce que son prédécesseur à échouer à faire en 5 ans. Certes, cctte initiative poursuit celle entamée par le Patriarche Sfeir. Rappelons-nous du comité quadripartite que le Cardinal Sfeir avait réuni à plusieurs reprises en 2007 (composé de représentants des quatre grands groupes politiques chrétiens) pour tenter de dénouer la crise politique “à l’abri des regards”. Le Patriarche avait d’ailleurs à plusieurs reprises essayé de réunir les quatre zu’ama chrétiens, sans y parvenir. Cela s’explique un peu par les circonstances politiques particulières des deux moments, mais surtout par les nuances dans l’approche. Au lieu de chercher un réglement préalable au conflit politique entre les quatre zu’ama chrétiens, ou à réglementer le discours politique (les deux approches suivies par le Patriarche Sfeir), le Patriarche Raï a tenté de changer la dynamique entre les quatre hommes en les engageant dans une rare rencontre en face à face, une réunion relativement dépolitisée et fortement spiritualisée. On retrouve chez les deux Patriarches les mêmes objectifs consensualistes aux tendances unanimistes, à la seule différence que le nouveau patriarche propose aux zu’ama un espace de délibération, et non une solution. Et ceci est une différence notable. Le conservatisme (de Raï) peut s’accommoder de la démocratie (et même y trouver son intérêt), ce que le traditionalisme (de Sfeir) avait plus de mal à faire.

Certaines personnes ont critiqué cette initiative du nouveau patriarche parce qu’elle n’incluait pas le PNL et le Bloc National. En fait, le poids parlementaire de ces deux formations politiques est aujourd’hui assez négligeable. Et il justifie l’exclusion d’une réunion de quatre politiciens qui à eux seuls réunissent plus de la moitié des députés chrétiens:  17 députés chrétiens pour le bloc du Changement et de la Réforme dirigé par le Général Aoun, 7 pour le bloc des Forces Libanaises dirigé par Samir Geagea, 5 pour le bloc des Kataeb dirigés par Amine Gemayel et 4 pour le bloc des Marada dirigé par Suleiman Frangieh, (33 sur les 64 député chrétiens). En fait, pour un sommet politique interchrétien, on aurait peut-être dû inviter deux Zu’ama non-chrétiens qui réunissent pas moins du quart des députés chrétiens: Saad Hariri pour ses 11 députés chrétiens et Walid Jumblatt pour ses 5 députés chrétiens. Ceci montre bien la complexité du paysage politique chrétien libanais: un paysage politique qui en fait répond le plus aux résultats “systémiques” attendus du régime électoral libanais (qui encourage le pluralisme au sein des communautés et les alliances intercommunautaires)… Mais l’accueil général de cette réunion quadripartite met le doigt sur une revendication qui semble majoritaire en milieu chrétien: la création d’un espace de délibération interchrétien, un espace que le règles dites confessionnelles rejettent.

Notons aussi que le nouveau patriarche maronite a annoncé qu’il est prêt à rencontrer le secrétaire général du Hezbollah, Sayyed Hassan Nasrallah, afin d’entamer un véritable  dialogue avec lui et il avait préalablement rendu publique sa disposition à une visite pastorale en Syrie… Et s’il osait déclarer sa disposition de visiter Béthlehem, et petu-être plus tard Jerusalem et Nazareth pour une visite pastorale! A 71 ans révolus, Mgr Raï a déjà fait preuve de dynamise, et son énergie ne manquera pas de nous surprendre. Pourvu qu’elle suffira pour faire entrer son Eglise dans le 21 siècle.

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Les duettistes chrétiens confirment leur mépris de l’électorat

Posted by worriedlebanese on 12/04/2011


L’Orient-Le Jour illustre bien comment il est possible de couvrir une élection au sein d’un ordre professionnel en ignorant totalement la dimension professionnelle de ces élections! Et en donnant la voix exclusivement à des politiciens (qui ne participent pas au scrutin) pour une analyse 100% politicienne de l’élection. Bon, il est vrai que le scrutin était politicé… mais est-ce une raison suffisante pour ignorer totalement son caractère professionnel… et ses acteurs les plus directs? c’est à dire les candidats et les électeurs. Bon. Jettons un coup d’oeil sur ce que disent nos deux duettistes chrétiens (pour qui tout évènement est une occasion pour une partie à deux voix)…

Samir Geagea: « Mais ce qui est plus important que les résultats globaux, c’est que le nouveau président de l’ordre, Élie Bsaibès, a été élu par plus de 95 % des voix chiites, représentées par Amal et le Hezbollah, près de 25 % des sunnites, plus de 90 % des suffrages du PSP et moins de 40 % des voix chrétiennes. Donc, en dépit du résultat, nous considérons que nous avons été forts là où il le fallait et nous avons obtenu un chiffre meilleur que celui de l’année dernière au niveau de l’opinion chrétienne », a précisé le leader des FL, avant d’ajouter, non sans sarcasme : « D’où la nécessité de féliciter à la fois le nouveau président et le Hezbollah. »

L’électeur disparaît de l’analyse de Samir Geagea. A travers une analyse qui réduit les électeurs à des pourcentages confessionnels eux même attribués (ou assimilés) à des partis politiques. Cette lecture rend “normal” et évidente une mobilisation confessionnelle qui n’a rien de spontané ou d’évident. Elle est la conséquence d’une mobilisation communautaire nourris par la classe politique et les médias qu’elle contrôle. Suivant quelle dynamique et par quelle mécanique est-ce que des ingénieurs Chiites et Druzes votent aussi massivement pour les candidats appuyés par les Zu’ama qui parlent en leurs noms… C’est la question centrale que le commentaire de Geagea efface tout en nous donnant un élément de réponse par son assimilation de la victoire du nouveau président de l’ordre, Élie Bsaibès, à celle du Hezbollah.

Michel Aoun: « L’un de vos collègues a commenté cette victoire, pour plaisanter, en disant que la différence obtenue équivaut à un avion qui n’est pas arrivé à temps. Qu’ils rangent donc leurs dollars et cessent de les dépenser pour tenter d’acheter les consciences », a-t-il lancé. « Si Dieu le veut, nous espérons que ceux qui restent encore avec eux changeront d’avis à leur tour, parce que je m’étonne qu’ils aient encore autant de voix ».
Et pourtant “ils” ont réussi à récolter beaucoup de voix… alors pourquoi s’en étonner et prétendre que la seule explication résiderait dans l’achat de voix. D’abord, il est normal que les gens votent selon leur intérêt, alors pourquoi ne pas aller plus loin et se demander si et comment leurs intérêts seraient liés à ceux des politiciens du 14 mars. Et puis, les gens votent d’ordinaire selon leurs convictions… Alors on peut vraisemblablement croire qu’une majorité d’ingénieurs a voté par conviction pour le candidat appuyé par la coalition du 14 mars (qui comprend les quatre plus anciennes formations chrétiennes, et le plus puissant (financièrement) réseau clientéliste du pays). Au lieu de s’étonner du relatif succès électoral du 14 mars, il devrait plutôt essayer de le comprendre. Et il devrait aussi se demander pourquoi le candidat qu’il appuie n’a pas réussi à convaincre une majorité d’ingénieurs chrétiens. Est-ce que c’est un échec (relatif) de ce candidat, ou un échec (relatif) du CPL ou de Michel Aoun?

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Le réveil douloureux des quatorze-marsistes

Posted by worriedlebanese on 25/01/2011

Certains sommeils sont si profonds que rien ne semble les perturber. La douce musique des slogans du printemps de 2005 bercent certainement le public quatroze-marsiste dans ce genre de sommeil. Et pourtant, on pouvait s’attendre à ce que les chocs qui se sont succédés les sortent de leur torpeur:
1. La résurrection de l’alliance quadripartite (Mustaqbal/PSP/Amal/Hezbollah) durant les élections législatives de 2005 et dans la composition du gouvernement…
2. Le départ du CPL de l’alliance du 14 mars (2005) durant ces mêmes élections législatives…
3. L’affaire des caricatures danoises et l’ambivalence du courant du Futur (Mustaqbal)
4. La guerre des 33 jours (2006)… et l’échec du pari de l’élimination du Hezbollah par les armes (israéliennes).
5. La guerre de Nahr el Bared… avec l’implication de l’Armée (qui a laissé les armes entrer dans le camps) et du Mustaqbal (qui a soutenu les mouvances islamistes du camp jusqu’au déclenchement de la guerre).
6. Le départ du PSP de l’alliance du 14 mars suite aux élections législatives (2009)…
7. Les déclarations des gouvernements Siniora (2005, 2008) et Hariri (2009)…
8. L’écroulement de la coalition gouvernementale (2010) avec le vote de “défiance” de Joumblat…

Mais non, il y a des sommeils obstinés que seul une journée comme celle d’aujourd’hui peut réveiller. Effectivement, le “Jour de la Colère” a certainement sonné le glas des fantasmagories surgies en 2005 et nourries aux amphétamines depuis. La “colère” que le Courant du Futur (Mustaqbal) a voulu exprimer est en parfaite contradiction avec les slogans de 2005. On est bien loin de l’image de la “révolution du cèdre” qu’avaient fignolée les agences de publicités et les responsables d’événementiels. Ce qu’on a vu et entendu sont des discours violents, strictement et ouvertement sectaires, on a vu des routes bloquées, des sommations de fermetures d’écoles et de commerce, des pneus brûlés…

Si tout cela n’aboutit pas à un réveil, c’est qu’il n’est pas question de sommeil mais de comma.

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